Guyane, première immersion dans la jungle
Traverser la Frontière en barque sur l’Oiapoque est rapide. St George de l’Oiapoque côté Français, est vite atteint, avec une surprise pour moi, un pont qui enjambe le fleuve et qui relie les deux pays. Le piroguier me dira qu’il n’est toujours pas ouvert, les normes des deux pays ne sont pas les mêmes, il y a blocage. En attendant les piroguiers continuent leurs va et viens. Que deviendront-ils lorsque la communication terrestre va être effectuée ?
A St George, je suis hébergé par Didier, ancien douanier il donne maintenant un coup de main à gérer le côté administratif d’une entreprise de formation de BTP. Il m’explique la diversité ethnique et culturelle de ce pays, des conflits qui y naissent et l’ombre menaçante des drogues qui circulent, rendant les gens fou. Département Français, certes, mais d’abord Amérique du sud !
Ma route se poursuit le lendemain matin vers le village de Régina, au bord de l’Approuague. Cayenne est encore loin,, Régina presque à mi chemin, je décide d’y passer la nuit.
Chez l’unique commerçant du village, tout le monde y passe faire un tour, boire un canon et discuter. Il fait office de bar de rue. Je rencontre alors un personnage étonnant sous le patronyme de Chevreuil. Jean François, Jeff, m’indique un endroit où poser mon hamac à l’abri, il y passe également la nuit. Il est heureux, après quatre mois à travailler dans le bâtiment, il revient vers le lieu qu’il adule : La jungle.
Demain matin, il embarque sur une pirogue, avec un peu de matériel et des vivres pour un mois. Il va rejoindre un camp sur la rivière Mataroni, en haut de l’Approuague. Dans une semaine, Une amie vient le voir, je pourrais alors retourner avec les piroguiers. Une semaine dans la jungle, dès mon arrivée, quel magnifique cadeau. Cerise sur le gâteau, Jeff me retrouve avec une gamelle dans les mains : « Tu as déjà gouté du caïman ? ».
Merci Chevreuil pour ton accueil, le plat est délicieux et je m’endors en pensant à la semaine qui va suivre. Un premier réel contact avec cette vie qui fourmille ici. Après cinq mois de route et près de 7500km, je ne pouvais rêver meilleur endroit pour marquer une pause et célébrer mon arrivée.
Ce sont deux jeunes du village avec lesquels je réussi à négocier un prix pour aller et retour, qui nous emmènes pour deux heures de navigation en remontant la rivière. J’ai confié une partie de mes bagages chez Nicolas, l’un des piroguiers. En fait, la barque est au père de l’un et le moteur au père de l’autre.
Nous quittons rapidement le fleuve principal pour remonter la Mataroni. Le niveau de la rivière est haut (il faut tenir compte également des marées) et les sauts, véritable cascades en saison sèche sont franchis sans problème. Nous arrivons alors à destination. La petite embarcation accoste dans une petite crique surplombée par 100m de pente dans la jungle. Celle-ci débouche sur la partie habitation.
Une vaste zone coupée à blanc pour y construire un carbet (maison traditionnelle faite d’un toit en feuille de palmiers et sans murs) et d’un Abati, un jardin planté de légumes de fruits et de plantes. Et cette place en est remplie, mosaïque de plantes de toutes sortes, avec des bananiers, papayers et fleurs en tout genre. Jeff est venu entretenir la place et garder le lieu à l’année pour les propriétaires.
Dans le carbet, chacun prends sa place et installe ses affaires. Ce soir, Jeff ira poser un filet et quelques trappes pour le repas de demain.
La nuit, tout le monde profite de l’obscurité pour sortir, renifler, manger ou chanter. Chants et vibrations de toutes les couleurs que cette jungle peut offrir. Grenouilles crapauds et grillons entament leurs chorale. D’autres animaux sont plus discret, comme le Tapir ou la biche, car dans ces lieux rodes Jaguars, pumas et panthères, Maîtres incontestés de la forêt.
Le lendemain, nous découvrons avec joie sur une des trappes, un bel Aïmara, poisson carnassier très répandu sur la rivière. Il sera boucané, opération consistant à fumer la viande. Il sera dégusté plus tard avec chicorée et fenouille du jardin.
Jeff me raconte sa vie en Guyane. Sa passion pour la forêt et la pêche. Pendant des années il a été guide pour touristes et scientifiques sur différents sites. Il a beaucoup appris avec les amérindiens en travaillant dans les communautés pour une compagnie de forage d’eau potable. Richesse d’apprentissage qui se perd de plus en plus dans les communautés où l’alcool fait des ravages.
Vivre en forêt, sur le plan nourriture est un travail quotidien. La pêche comme la chasse demande une connaissance incroyable du milieu et de la faune sauvage. Ne manger que du riz ou des lentilles n’est pas possible, alors il faut attraper sa pitance. C’est la loi universelle que l’on retrouve dans ces milieux : Manger ou être manger. Car ici tout le monde s’active pour chercher sa nourriture quotidienne. Ballets incessants d’insectes, de fourmis et d’oiseaux parcourant l’espace, et partout la mort rôde.
Un proverbe amérindien dit même : »Il y a dans la forêt, autant de feuilles dans les arbres que d’yeux qui te regardent ».
Cette jungle est riche d’une biodiversité incroyable. Des espèces sont découvertes par les scientifiques chaque année. Elle est le dernier sanctuaire de la vie sauvage tropicale.
La jungle en Guyane recouvre 7 millions d’hectares et plus de 3 millions sont protégés. Située à la frontière sud, la réserve du Parc Amazonien jumelée avec sa voisine au Brésil, la réserve des monts Tumuc Humac, représentent environ 6 millions d’hectares de jungle préservés d’un seul tenant, le plus grand parc naturel au monde.
Il ne suffit pas de poser filets et hameçons pour prendre du poisson. Parfois le pêcheur s’en reviens bredouille. Mais la mère n’oublie pas sont fils, et offre dès le lendemain, de quoi se nourrir. Une tortue c’est prise dans une trappe, blessée, elle fera un délicieux repas.
Peu de monde remonte la Mataroni, rivière utilisée par les chasseurs qui partent en expédition nocturne et remonte son cours jusqu’au carbet de chasse et partent en forêt.
Lorsqu’il y a du passage, c’est toujours un moment d’échange.
Aujourd’hui c’est Narcisse, Brésilien de naissance et français d’adoption. Il est instructeur au camp d’entrainement en forêt tropicale de la célèbre Légion Etrangère. Sa spécialité : La survie dans ce milieu extrême. Et il en connaît un rayon ! A 60 ans, sous son apparence de petit bonhomme sec, je le devine à toutes épreuves. Toujours en activité, et met sur la touche bon nombre de jeunes prétentieux.
Ramenant un caïman à déguster, il passe l’après midi avec nous et, après quelques heures à écouter une bibliothèque vivante tant sa connaissance des plantes et du milieu est grande, il repart le soir venu chasser un ultime Pac ou un cochon-bois.
Jeff me dit qu’il à beaucoup apprit avec lui au niveau chasse, mais ce n’est pas son truc, il préfère et de loin la pêche.
Je profite de ces quelques jours pour découvrir les alentours en suivant les layons.
Minces chemins tracés dans la jungle, ils sont utilisés soit pour la chasse, soit pour rejoindre un carbet situé plus haut sur la rivière. Le sous bois est riche en plantes arbustives fougères et palmiers. Perchées sur les troncs ou dans la canopée, les plantes épiphytes abritent quand à elle une multitude d’amphibiens et d’oiseaux. Les lianes, parfois centenaires enguirlandes les branches basses et se perdent dans les hauteurs des cimes. Il n’y a cependant pas beaucoup de gros arbres, indicateur d’une exploitation par l’homme. C’est une forêt secondaire que j’ai devant moi. Il faut dire qu’à l’emplacement du carbet ou je loge, de nombreux fragments de poteries ont été découvert, preuves d’un ancien village Amérindiens.
Encore peu touché par l’orpaillage, elle reste assez sauvage et la reconstruction se fait tranquillement. Mais là encore, tout peut changer si rapidement. Il suffit de peu de chose comme une route, ou de trop fréquentes visites pour que ce fragile mais non moins puissant système écologique ne soit transformé.
La semaine se termine, il me faut reprendre la route. J’attends mes piroguiers, qui selon toute probabilité arrive ce jour. Peine perdue, l’attente sera vaine, personne ne viendra me chercher.
Une semaine se passe ainsi, de pêche et d’apprentissage en forêt grâce à Jeff. Pas une barque ne passe, comme par hasard. Me voilà bloquer au milieu de la jungle, combien de temps il va falloir patienter. Car, bien sure, le canoë de Jeff ne peut contenir deux personnes.
C’est le temps de la privation : Café et tabac sont vite épuisés, et le stock de riz et lentille s’amenuise.
Jeff décide alors une descente osé vers Régina en pirogue. Pas simple avec les sauts et la distance. Il met 7 heures à atteindre le village et remonte le lendemain avec vivres et piroguiers pour me redescendre. Je quitte alors le saut « maman Coumarou » et laisse Jeff à sa vie solitaire lui promettant un retour. Un colis lui sera envoyé pour le remercier. Une amitié vient de naitre entre nous.