il a fallut un retard sur le ferry qui devait me ramener à Bella-Coola, pour faire une rencontre furtive mais forte, celle d’un conteur.
Depuis sa plus petite enfance, Gene Tagaban, voulait devenir un “Raven-dancer”, un conteur qui lors d’une cérémonie, endosse la tenue des esprits corbeaux, conte et chante les histoires des anciens, pour qu’on ne les oublies pas. Dans la petite salle communautaire, Gene, raconte, fait participer les enfants, chante avec eux, leurs fait jouer de la musique dans un esprit joyeux et malicieux.
Gene Tagaban, "crazyraven"
Le message qu’il essaie de faire passer: “Croire en ses rêves!, les vivres, en respectant la terre et ses habitants, qu’ils soient arbres, animaux, vent ou pierre”. Après la soirée, je vais le remercier de sa prestation, lui parle de mon chemin, de ma démarche pour éveiller les consciences à la beauté du monde sauvage qui nous entoure. Je lui parle de la Bretagne et des traditions des veillées que nous avions et que nous essayons de faire perdurer.
Le lendemain, il m’enverra un mail avec ce conte dédié à la forêt. j’en suis très émut de recevoir un si beau cadeau, je vous le transmet, pour qu’il continue a vivre de ce côté çi du continent, portez le racontez cette histoire pour que nous nous souvenions qu’avant il y avait “As-Xaani” le peuple des arbres
PRIERE POUR LA TERRE
de Gene Tagaban conteur TLINGIT
Corbeau volait le long de la plage.
Il revenait d’un long voyage.
Voilà très longtemps qu’il était parti.
Il revenait enfin sur les terres de ses Pères,
Sur les terres des Anciens.
Les choses avaient bien changé.
Corbeau marcha dans la forêt :
Là où, avant, il y avait beaucoup d’arbres,
Il y avait maintenant beaucoup de gens.
Mais Corbeau ne les reconnut pas.
Ils étaient étrangers à ses yeux.
Il s’enfonça dans la forêt, allant toujours plus loin,
Toujours plus profondément, à la rencontre des arbres :
“As Xaani”.
Ainsi appelons–nous le peuple des arbres,
Car ils sont vivants comme nous.
Et Corbeau vit un très vieil épicéa :
C’était un très grand et très vieil arbre,
De la sève coulait le long de son écorce, et tombait sur le sol.
Et pour Corbeau, c’était comme des larmes.
Alors Corbeau s’adressa au vieil arbre,
Trouvant en son cœur les mots qui emportent la tristesse:
« Mon frère, je sens ta tristesse,
Elle est comme un grand poids sur toi,
Cette peine en souvenir de tous ceux de ta famille qui sont partis pour toujours.
Cette peine, c’est comme un arbre déraciné, arraché,
Abattu sur le sol et jeté dans la rivière,
Et charrié vers la mer.
C’est comme un tronc nu, balloté par les flots marins
Pendant des jours et des jours.
Le sel de l’océan le pénètre et il devient lourd, de plus en plus lourd,
Et il commence à s’enfoncer et à couler, de plus en plus profondément,
Jusqu’à devenir presque invisible dans les profondeurs des flots.
Ainsi l’eau de mer est-elle, comme ce chagrin
Qui pèse sur ton cœur. »
Ainsi parlait Corbeau, s’adressant à ce vieil arbre dans la forêt.
« Mais je suis là, mon frère,
Pour t’offrir mon amour et mon aide.
Laisse-moi partager le fardeau de ta peine.
Laisse-moi être comme le soleil.
Vois, ce tronc dans la mer
Est finalement rejeté sur la plage ;
Et le ressac des vagues l’entraîne, et le porte sur la terre ferme.
Et voici que les rayons du soleil viennent se poser sur lui,
Et le réchauffent, et toute l’eau de mer,
Tout ce poids dans son cœur de bois
Commence à sécher et à s’évaporer.
Le soleil réchauffe tout, le soleil sèche tout.
Laisse-moi être comme le soleil.
Laisse-moi assécher ta tristesse. »
Et Corbeau pleura avec le vieil arbre.
Il pleura pour « As Xaani », le Peuple des Arbres,
Arraché à la forêt.
Alors arriva Aigle, frère de Corbeau.
Voici longtemps, ils riaient ensemble,
Et parfois même ils se querellaient.
Maintenant, était venu pour eux le moment de voler
Au-delà des terres de leurs Pères,
Au-delà des terres des Anciens.
Comme les mots de cette chanson :
« Ainsi, la terre de nos Anciens ne sera pas oubliée;
Laissez nos voix se faire entendre,
Ayez confiance en vos instincts, en votre cœur
Entendez nos complaintes,
Priez comme Corbeau. »
Nous sommes du peuple du Corbeau.
Nous sommes du peuple de l’Aigle.
Nous entendons les voix de nos Ancêtres,
Nos Pères, et ils nous disent:
« Eclairez l’esprit des enfants,
Et racontez, encore et encore, les vieilles histoires.
Nous nous les raconterons les uns aux autres.
Nous les raconterons aussi aux étrangers,
Et peut-être comprendront-ils. »
les enfants: futur de l'humanité. Que leurs laissons nous?
Merci à Aliceu, conteuse bien connue chez nous qui a permis une traduction plus juste et plus fidèle a l’esprit du conteur.
Ce conte m’a inspiré une autre petite histoire, elle aussi arrangé par Aliceu.
L’Eau et le Feu
On dit que le Feu et l’Eau ne font pas bon ménage,
mais un jour, ils s’allièrent pour le plus beau des voyages.
Il y a très longtemps, au temps où les montagnes bretonnes étaient jeunes, très jeunes,
il y avait un petit ruisseau, à peine un murmure, mince comme un filet d’eau, et qui rêvait de parcourir le monde.
Mais il était si petit qu’il n’osait pas entreprendre un tel voyage.
Il se lamentait et pleurait d’être si petit; et sa peine fut entendue par la montagne.
Elle lui dit:
“Que se passe-t-il, Petit Ruisseau ? Pourquoi ces larmes, pourquoi ces plaintes, pourquoi cette peine ?”
Petit Ruisseau dit à la montagne:
“Je pleure, parce que je suis tout petit, et jamais, jamais je ne pourrais visiter le vaste monde, sillonner les forêts et grandir !… Jamais je ne pourrais entreprendre seul un tel voyage !…”
Et il soupira tristement.
La montagne fut émue par le Petit Ruisseau, et elle décida de l’aider.
Alors, dans un grondement énorme, elle tourna sa bouche vers le ciel. Et le Feu jaillit de la montagne, brûlant, fort et fier, indomptable, et si brillant de couleurs que le ciel se colora à son image.
Et le Petit Ruisseau sentit son cœur faire un bond en avant.
Le Feu de la Montagne dévala la pente abrupte jusqu’au ruisseau. Petit Ruisseau était très content d’avoir un tel compagnon, un allié de poids.
Alors, il prit courage, et ensemble, ils entreprirent le voyage.
Et le voyage les emmena loin, très loin, part delà les collines et les montagnes, franchissant des déserts arides, des plaines immenses, et de vastes et très vieilles forêts, où personne n’était encore jamais allé.
Et plus le temps passait, plus le chemin était long derrière eux, plus Petit Ruisseau grandissait, s’affermissait, devenant de plus en plus fort, de plus en plus grand, pour se muer en rivière.
Lorsqu’ils furent arrivés à l’extrémité de la terre, devant l’océan, le Feu de la Montagne s’adressa à Petit Ruisseau devenu Rivière.
” Je ne peux aller plus loin, Petit Ruisseau ; à parcourir ainsi la terre, je suis fatigué… Ici, dans cette grande forêt, j’ai envie de me reposer; il y a des montagnes où je pourrai me ressourcer : Je veux m’arrêter là. Mais toi, va, continue seul ta route. Tu es assez fort maintenant.”
Et le Feu de la Montagne sourit avec amitié à Petit Ruisseau.
Petit Ruisseau devenu Rivière fut très triste de perdre ainsi son ami, le
Feu de la Montagne, et il pleura, pleura tellement qu’il grossit encore et encore,
Devenant fleuve, puis torrent bouillonnant.
Et lorsqu’il fut Torrent, il se jeta dans la mer, et se mélangeant à ses flots, il devint Océan.
C’est ainsi qu’il put atteindre un autre pays, une autre terre, loin, très loin de la première.
Pénétrant dans un étroit chenal, il se fit mince et léger, et, redevenu rivière, il put s’avancer dans le pays, visitant ces terres nouvelles, continuant son chemin, continuant son voyage.
Le cœur léger et plein de feu.
Ainsi est l’histoire de l’alliance entre le Feu et l’Eau.
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